jeudi 25 octobre 2007

Le petit Porsche sur le point d’avaler le gros Volkswagen

C’était sans doute l’un des plus beaux jours de sa vie. En levant hier la «loi Volkswagen», la Cour européenne de justice permet à Porsche d’avaler le premier constructeur européen, et à Ferdinand Piëch de réaliser deux vieux rêves : unir sous son contrôle les deux marques qui ont fait la gloire de sa famille et inscrire son nom dans la lignée de ses prestigieux ancêtres, Ferdinand et Ferry Porsche. «L’après-guerre prend fin mardi dans le Land de Basse-Saxe», estimait ce week-end le quotidien Tagesspiegel. C’est en effet une loi anachronique que la Cour a reléguée hier aux oubliettes.

Le texte entré en vigueur le 21 juillet 1960, à la privatisation de Volkswagen (VW), apparaît alors comme une garantie pour la démocratie : il assure à l’Etat une influence déterminante sur ce constructeur impliqué dans les crimes nazis. La loi interdit aux actionnaires de posséder plus de 20 % des actions à droit de vote et accorde de facto au Land de Basse-Saxe (dont dépend le site historique de Wolfsburg) une influence déterminante sur l’entreprise. Deux membres du conseil de surveillance, sans l’aval duquel aucune décision stratégique ne peut être prise chez VW, sont choisis par le Land. La loi VW, considérée pendant des années comme un atout pour l’Allemagne post-nazie, s’est vite trouvée dans le collimateur de Bruxelles qui la percevait comme une entrave à la libre concurrence. Une aubaine pour Ferdinand Piëch.

Trône. A 70 ans, le patriarche du clan Porsche règne sur deux empires, Porsche et Volkswagen. Actionnaire du premier, il est depuis 2002 le président du conseil de surveillance de VW, un trône qui lui permet de tirer bien des ficelles tout en restant dans l’ombre. Son rêve : réunir sous son pouvoir les deux marques de ses ancêtres. Hasard de l’histoire ? Son grand-père, Ferdinand Porsche, est l’inventeur de la coccinelle, la petite voiture du peuple, crée en 1938 à la demande de Hitler, qui a fait la gloire de VW après la guerre. Son oncle, Ferry Porsche a créé en 1947 une nouvelle marque automobile, dédiée aux voitures de sport…

Soixante ans plus tard, le constructeur le plus rentable de la planète est toujours aux mains de la famille. Deux branches, les Porsche (héritiers de Ferry) et les Piëch (héritiers de sa sœur Louise) contrôlent le capital du constructeur. Richissime (il est actionnaire à titre personnel de 13,6 % du capital de Porsche et d’un florissant importateur automobile, la société autrichienne Porsche Holding OHG), Piëch n’aurait pas besoin de travailler. Mais il n’a pas hérité que des millions de son génial grand-père. Il a aussi la passion pour la technique et l’ambition de son ancêtre.

La carrière du jeune Piëch débute en 1963 chez son oncle Ferry, au siège de Porsche à Stuttgart. Il accède vite au poste de directeur technique, et s’y fait remarquer par son talent. La légendaire 911 est à bien des égards son œuvre. Piëch est considéré comme le grand artisan des victoires sportives de la marque, notamment aux 24 Heures du Mans.

Poigne de fer. Les ambitions de cet introverti, réputé pour sa froideur et qui ne cache pas sa volonté de succéder un jour à son oncle, ne tardent pas à dresser contre lui les fils de Ferry. Une décision familiale de 1972 et l’entrée en Bourse du constructeur l’obligent, comme tous les autres membres du clan, à quitter Porsche. Piëch se fait alors embaucher par une filiale de Volkswagen, Audi, une entreprise sur le déclin à qui il impose une stratégie radicale et efficace : se repositionner sur le haut de gamme. Nommé président de Audi en 1988, il prend la succession du patron de VW, Carl Hahn, le 1er janvier 1993. Il dirigera le groupe d’une poigne de fer jusqu’en 2002, date à laquelle il prend les rênes du conseil de surveillance.

Combat sans merci. C’est de ce poste que Piëch continue de tenir les rênes de VW. Et depuis son siège d’actionnaire de Porsche qu’il travaille depuis des années à la reprise du grand par le petit, de VW par Porsche. La petite bête (Porsche, 7,3 milliards d’euros de chiffre d’affaires) va en effet manger la grosse (VW, 105 milliards d’euros de chiffre d’affaires), si ce n’est déjà fait : Frank Schwoppe, analyste à la NordLB à Hanovre, estime que par le biais d’actions et options «Porsche détient déjà au moins 50 % des titres VW». «L’avantage stratégique pour Porsche, c’est la possibilité de recourir au savoir et aux ressources de VW», insiste-t-il.

En attendant, c’est un combat sans merci qui va se jouer entre salariés de VW et direction de Porsche, entre salariés de Porsche et salariés de VW… Wiedeking veut mettre fin aux privilèges (salaires élevés pour un temps de travail réduit…) des salariés de VW. Et les présidents des comités d’entreprise de Porsche et Volkswagen se tirent déjà dans les pattes pour savoir lequel des deux jouera un rôle de premier plan dans Porsche Holding. Porsche se crée bien des problèmes, notent les observateurs. Notamment avec un syndicat puissant : 95 % des salariés de VW sont syndiqués. Et IG Metall est décidé à résister aux ambitions de profitabilité affichées par Porsche.

Article vu sur libération.fr

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